Etienne Joseph Louvat de Champollon propriétaire du château de Chenavel, incarcéré à la prison d'Ambronay, adresse aux administrateurs du Directoire du district de Montferme (Saint-Rambert-en-Bugey) une supplique avec éléments argumentaires pour que son château ne soit pas démoli.
Premier Texte (Sources : Archives Départementales de l'Ain, cote 10 L 107)
30 ventôse An II (20 mars 1794)
Pour Etienne Joseph Louvat citoyen de Chenavel aux administrateurs du Directoire du district de Montferme (Saint-Rambert-en-Bugey)
Le citoyen Louvat est propriétaire depuis pres de deux ans d’une habitation, appelée cidevant le chateau de chenavel ; cette habitation, ou si on veut, ce cy devant chateau, doit-il être démoli ? C’est la question qu’il s’agit de décider.
Le décret de la convention nationale du 13 pluviose dernier (1er février 1794) porte art[icle] 1er « tous chateaux forts, toutes forteresses de guerre dans l’interieur du territoire de la Republique autres que les postes militaires et ceux qui seront necessaires au service national, seront démolis dans le délais de deux mois de la maniere prescritte en l’art[icle] 2. qui est ainsi conçû : les tours et tourrelles, les murs épaix garnis de créneaux de meurtrieres et de canardieres, les portes défendues par des tours à mascoulies, seront démolis, les ponts levis seront abbattûs, et les fossés comblés »
Pour être à même de prononcer sur la question principale, il est interessant de connoître l’habitation du citoyen Louvat, en voici la description.
Cette habitation située sur une petite montagne n’a que 23 toises (= 44,83 m) de long du midi au nord, et 23 pieds (= 7,47m) de largeur ; elle est composée d’un rez de chaussée, d’un premier etage et d’un grenier. Les appartements y sont trés petits, on y distingue seulement deux sales de 27 pieds 10 pouces (= 7,74 m) de long sur 23 ( = 7,47 m) de large ; le batiment forme deux ailes séparées par une cour de 25 pieds ( = 8,12 m) de matin à soir, l’une a sept pieds ( = 2,27 m)de largeur et l’autre six ( = 1,95 m) à sept ( = 2,27 m) dans une partie et treize ( = 4,22 m) dans l’autre ; les murs n’ont que 32 pieds ( = 10,39 m) de hauteur.
Trois angles ont une forme ronde de maniere qu’elles representent extérieurement deux demi tourelles ; dans deux sont pratiqués des escaliers mais aucune ne surpasse leurs murs de face et les couverts sont de niveaux.
D’après cette description qui est exacte, on ne peut pas considérer l’habitation de citoyen Louvat comme un chateau fort, il n’y existe aucun des emblêmes féodaux compris dans l’article 2. du décret, et elle doit être conservée d’apres les dispositions de l’art[icle] 3. du même décret.
Quoique l’habitation du citoyen Louvat portat cy devant le nom de chateau, la démolition ne peut pas en être ordonnée parce qu’il est entierement dégagé de tous les signes feodaux et des moyens de resistance, de maniere qu’il ne peut nuire à la paix publique, puisqu’il est dominé par le village de Chenavel. Cette consequence se tire des considérations de la convention nationale qui précedent le décret. On le repete, l’habitation du citoyen Louvat est dégagée de tous les emblêmes feodaux, on n’y trouve aucunes tours, tourelles, creneaux, meurtrieres, canardieres, portes à mascoulies, pont levis, ni fossés. Elle ne doit donc pas être comprise au nombre des chateaux-forts, ou forteresses dont la démolition est ordonnée par le décret du six aoûst.
D’ailleurs le citoyen Louvat n’a pas d’autre habitation, et si elle étoit démolie toutes ses propriétés qui l’entourent perdroient au moins les trois quarts de leur valeur, elle ne peut donc sous aucun point de vue être démolie, et la question doit être décidée en sa faveur ; il n’invoque que la justice.
Cependant en cas de doute, le citoyen Louvat invite le Directoire du district de nommer un ingénieur militaire ou un ingénieur des ponts et chaussées pour donner son avis et faire son rapport d’après lequel il sera statué ce qu’il appartiendra conformement à l’art[icle] 7 du decret du 13 pluviose (1er février 1794)
De la maison de détention d’Embronay ce 30 ventose an second (20 mars 1794) de la République française une, indivisible et démocratique
Louvatz
Etienne Joseph Louvat avait émis dans le texte ci dessus la possibilité de l'examen de son château par un expert militaire. Ce qui est fait par François Grumetmontpic se trouvant à Montferne au moment de l'affaire.
Second Texte (Sources : Archives Départementales de l'Ain, cote 10 L 107)
7 germinal An II ( 27 mars 1794)
Rapport de visite du château de Chenavel
François Grumetmontpic chef de Bataillon du Génie
Sur la réquisition des citoiens administrateurs du District de Montferme (Saint-Rambert-en-Bugey), j’ai été reconnoitre la situation et la disposition du château de Chenavel, et j’ai reconnu ce qui suit.
Situation
La gorge de Nantua débouche dans la plaine vers Cerdon et Poncin. A l’issue de ce débouché se trouve un mamelon ou montagne isolée en forme de triangle, d’environ une petite demie lieue (= 4,4 km d’étendue, laquelle ne tient à la grande chaine des montagnes, que comme par un filet. La grande route de Cerdon à Poncin et de Poncin à St Jean le Vieux, contourne ce mamelon dans une grande étendue de son pourtour, ensorte que il peut être regardé comm’une position militaire importante pour défendre l’entrée de la gorge contre un corps d’armée, qui, de la plaine, voudroit y pénétrer. Le château de Chenavel est placé sur cette montagne sur le bord de ses escarpements dans la situation la plus avantageuse pour battre la plaine, la rivière d’Ain et les deux grandes routes sur les bords de cette riviére, dont il n’est éloigné que de quatre à cinq cent toises (entre 780 et 975 m).
Disposition particulière.
Le château de Chenavel est composé d’un grand corps de batiments qui a 150 pieds (= 48,75 m) de longueur sur 30 pieds (= 9,75 m) de largeur. Les gros murs ont de 30 à 36 pouces (entre 81 et 97 cm) d’épaisseur ; il fait face à la riviére le long de l’escarpement de la montagne, dont il n’est distant que de 36 pieds (= 11,7 m) et cette distance fait la largeur d’une belle terrasse où l’on peut mettre huit pieces de canon en batterie.
Sur le derriere qui est le côté de l’avenue, deux ailes de 48 pieds (= 15,6 m) de longueur renferment, avec le principal corps de logis, une cour qui est fermée par un mur de cinq à six pieds d’épaisseur (entre 1,62 m et 1,95 m) d’épaisseur. La porte est au milieu de ce mur. Sa hauteur étoit de près de trente pieds (9,75 m) mais il vient d’etre reduit à celle de neuf ou dix pieds (entre 2,92 m et 3,25 m) ; et les débris ont servis à combler un fossé de trente six pieds (= 11,7 m) de largeur qui defendoit le long de ce mur, tout le côté de l’avenue, seul coté de ce château accessible et attaquable. Les culées en maçonnerie du pont-levis suprimé depuis peu, existent encor. Il ne faudroit pas un fort grand travail pour déblaier le fossé et le remettre en son premier état. Quatre tours réduites depuis peu à la hauteur des bâtiments, flanquent ce château à l’extérieur. Elles sont en partie engagées dans les bâtiments. Les convéxités de deux de ces tours faisant saillie dans l’intérieur de la cour, servent également de défense contre l’assaillant, qui auroit pénétré dans l’intérieur de cette cour ; et dans cet intérieur deux autres tours, placées aux angles que les ailes forment avec la façade, défendent encor l’entrée des bâtiments.
Sous l’étendue de la moitié du principal corps est un beau souterrain taillé dans le roc, et le château est pourvu d’une très belle citerne. L’avenue du château est un chemin coupé dans les penchants escarpés de la montagne ; il est bordé dans le haut par le mur d’enceinte des basses cours ; il étoit fermé par deux portes ou barrières avancées, l’une devant l’autre et démolies depuis peu. Ces barrières ne pouvoient avoir eû d’objet que celui d’une défense militaire.
On pourroit étendre davantage les détails de la disposition militaire du château de Chenavel, mais je crois que ce qui précéde suffit pour faire voir qu’il réunit bien au delà de touts les caractères marqués par le décret pour prononcer sa démolition.
Fait à Montferme le 7 germinal an 2e (27 mars 1794) de la République, une et indivisible.
Grumetmontpic
TroisièmeTexte (Sources : Archives Départementales de l'Ain, cote 10 L 107)
Devant le rapport rendu par Grumetmontpic au district de Montferme, Etienne Joseph Louvat de Champollon adresse un nouveau courrier aux citoyens administrateurs du district de Montferme
Argumentaire du 7 germinal An II (27 mars 1794)
Moyens
Pour Etienne-Joseph Louvat citoyen de Chenavelle
L’esprit et la lettre du décret du 13 pluviose (1er février 1794) relatif à la démolition des chateaux forts et forteresses de l’intérieur, militent également pour la conservation des batimens qui composent le cidev[an]t chateau de Chenavelle.
En effet on lit dans le considérant de ce décret que la Convention nationale par celui du 6 aoust qui ordonne la démolition des chateaux forts n’a pas compris les habitations qui portoient le nom de cidev[an]t chateaux, et qui dégagees de tous les signes féodaux et des moyens de résistance ne peuvent nuire à la paix publique.
Que le décret ne frappe que les fortifications qui ceignent ces cidev[an]t chateaux et non les logements des propriétaires ou locataires.
Or dans l’esprit de la loi les batimens du cidev[an]t château de Chenavelle ne doivent pas être démolis, mais seulem[en]t les fortifications qui pourroient le ceindre : Il est évident qu’il n’y existe aucune des fortifications mentionnées en l’art[icle] 2. Sa position elevée ne peut point le faire placer dans la classe des chateaux forts et forteresses d’autant qu’il n’est nullement fortifié par l’art, et qu’on doit d’ailleurs considérer que lorsque l’habitation ne subsisteroit pas, l’avantage de la position du lieu audessus de la plaine n’en subsisteroit pas moins,
Et on observera que le hameau de Chenavelle quoique encore plus avantageusement situé ne peut pas être regardé comme présentant des moyens de deffenses [en marge, resistance]. Le cidev[an]t chateau de Chenavelle est absolument dans le même cas, il est d’ailleurs dominé par le village.
La lettre du décret n’est pas moins favorable à la conservation des batimens du cidev[an]t chateau de Chenavelle : L’art[icle] 3 porte les habitations dégagées des emblemes féodaux et des objets de deffense détaillés dans l’art[icle] 2 seront conservées. En raisonnant d’après cette disposition précise, s’il existe des emblemes féodaux et des objets de deffense dans le cidev[an]t château dont il s’agit, il faut l’en dégager et conserver l’habitation. Si l’on regarde comme objet de deffense la terrasse et les trois angles de la maison, construits en forme de tour, le propriétaire verra avec satisfaction qu’à la forme du décret ils soient démolis, mais il insiste fortement pour que l’habitation …. ?....de tout ce qui peut lui donner apparence de fortifications soit conservée conformement à la lettre et à l’esprit de la loi. Si on la démolissoit, sa famille resteroit absolument sans asile.
D’après tous ces motifs, il espère avec confiance que la justice du citoyen ingénieur et des administrateurs du district de Montferme ne permettra pas la destruction totale de sa maison, puisque la loi ordonne impêrativement qu’elle lui soit conservée.
Ambornay, maison de détention le 7 germinal, l’an 2 de la République une, indivisible et démocratique.
Louvatz